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Anne Davier - extrait du Journal de L'ADC
Fabienne Abramovich poursuit une ligne artistique, reconnaissable entre toutes ses créations. Geste fluide mais rigoureux, imbrication poétique du son, de l'image et de la danse, son travail chorégraphique interroge la forme et la structure de l'espace, mais aussi le corps et sa fascinante mobilité.
Pour Turbulences libre et stable, Fabienne Abramovich est allée traquer dans sa mémoire les structures fortes de ses anciennes pièces. Une fouille dont elle a extrait la quintessence de sa propre chorégraphie, et qui lui permet aujourd'hui d'être au plus près d'elle-même. Turbulences libre et stable progresse sur le chemin que parcourt inlassablement la chorégraphe depuis vingt ans: celui d'une danse qui puisse exprimer au plus juste l'évidence d'une lecture franche des corps, sans ornement.
Turbulence libre, la première pièce, propulse cinq danseuses dans des ellipses chaotiques. Pieds et gravité, élasticité, os et articulations recréent sur le canevas fragmenté du passé une chorégraphie d'une indéniable vitalité. Traitement brut de cette matière première qu'est le corps.
Turbulence stable se pose sur un petit jardin zen, carré poétique pour trois danseuses. Un espace recentré sur les mesures du corps humain, propre à une gestuelle sobre et hypnotique.
Par intervalles, un film accroche le regard : travelling avant sur les substances originelles, jusqu'à l'explosion de la matière alors que les danseuses poursuivent subtilement l'exploration d'une mobilité première.
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Propos recueillis par Bertrand Tappolet – Scènes Magazine, mars 2001, no 139
Fabienne Abramovich au festival “dansez!”
Jeux de mémoires
Dans le cadre de la quatrième édition du festival transfrontalier « Dansez ! »,la chorégraphe genevoise Fabienne Abramovich pose une surprenante interrogation en forme de sampling chorégraphique.
Comment partir d’une exploration fine et sensible de son propre répertoire pour susciter une pièce originale ? dans son dernier opus, «Turbulences libre et stable», la chorégraphe se frotte à cette interrogation, qui est au cœur de la danse contemporaine, en recyclant les partitions spatiales et rythmiques de ses anciennes pièces. Ce qui séduit dès l’abord, c’est le va-et-vient jubilatoire entre ce qui est déjà écrit et la manière singulière des danseuses d’habiter une écriture déjà advenue avec leurs parcours en sensations. Poétiquement appelés par la chorégraphe « petites matières», les mouvements sont axés sur la mécanique de femmes, véritable collage d’agencements articulaires et anatomiques sans cesse renouvelés. Il y est également subtilement question de poétique des corps, d’«états d’âme», saisis sur le fil de l’improvisation, de l’imprévisible. «Turbulences libre et stable» est un geste magnifique de croisements. Croisements entre le destin collectif du vivant et la mémoire personnelle, entre la fascination pour l’abstraction et les souvenirs concrets, sensible de chaque corps.
«Que referais-je aujourd’hui avec des pièces comme le Bleu dans le ciel, l’Âge d’airain ou Le Vœu des amants ?» s’interroge la chorégraphe. à ses yeux, ce qui était très définissable dans ses chorégraphies résidait dans les parcours, structures et points d’ancrage au sol. Au solo Le Bleu dans le ciel (1991) s’identifiait les marches au carré, à l’Âge d’airain (1993), les ellipses et transports des corps marqués par la danse-contact, au Vœu des amants (1994) les mouvements ciselés en forme de fugues. Conjuguant ainsi les mémoires de plusieurs pièces, Turbulences… montre comment tant les trajectoires quelles structures temporelles contribuent à définir l’écriture chorégraphique et l’esthétique d’un spectacle.
Repenser une trajectoire
«La première pièce, Turbulence libre, est traversée par un désir de repenser mon travail chorégraphique, démarche qui à l’origine de cette création, explique Fabienne Abramovich. A mon gré, une fois réalisée, une chorégraphie se découvre comme un travail, fini, « défunt ». D’où la nécessité de tout réinventer, de repartir sur une autre « moteur corporel ». Au terme de quinze pièces, j’ai ressenti le besoin de faire retour sur mes créations conçues comme un tout, un ensemble. Loin de se limiter à l’auto-citation, cette démarche se veut tout à la fois autocritique, ludique et intimement conscient du parcours réalisé, envisagé avec le recul que seule autorise la distance temporelle. Qui suis-je au sein de mes créations ? A ce titre, c’est grâce ou à cause de Sarajevo, expérience intense, forte, voire violent dans l’interrogation du sens même d’une démarche chorégraphique, que j’ai entrepris cette fouille « rétrospective ». De ces regards croisés et passerelles entre Genève et la capitale bosniaque, Fabienne Abramovich a tiré en 1993 « La Danse des aveugles » un solo où le corps de l’interprète se fait matrice d’un devoir de mémoire, avec des images projetées parties de l’Holocauste pour échouer à l’ex-Yougoslavie en passant par le conflit algérien. Et « With the ground Laïla, Laïla 3 » (1996), ensemble de courtes pièces réalisées avec des interprètes bosniaques.
«Pour la deuxième pièce, Turbulence stable, je travaille avec l’image comme ce fut las formellement avec «La Danse des aveugles» ou «Trois impressions sur l’exil» (1995) ; une image imbriquée dans le corps qu’elle morcèle par le biais de projection et de «retro-projections». Le principe en est que la danse et la lecture de l’image vidéo, faite de ponctuations rythmiques en travellings, soit d’un seul tenant, centrées autour de la matière et de ses métamorphoses, du paysage en turbulences ou fluctuations»
Géométrie du chaos
«En fonction de divers motifs, «Turbulences libre et stable» donne à voir tour à tour un certain chaos réaménagé dont la théorie m’a toujours intéressée et l’organisation de diverses structures avec des couleurs assez reconnaissable. Mon travail est lié à une conception essentiellement géométrique de l’espace : des trajectoires très travaillées dans le temps et l’espace laissent néanmoins surgir des déplacements imprévisibles aléatoires. Ainsi, au début le plateau est-il traversé de marches, souligne la chorégraphe. Les danseuses reprennent ensuite au départ. On voit alors les marches s’installer, mais cette fois-ci avec la partition musicale qui module l’association souvent contradictoire entre son et sens. Ce fragment est reproduit au fil de l’avancée de la pièce. Se modulant sur un brouillage de pistes, de trajectoires, ces « short cuts » ou instantanés en forme de déambulations servent de levain, de dynamique à la chorégraphie saisie dans une chronologie quasi cinématographique. L’une des interprètes y apparaît toujours de dos, telle une silhouette découpée, comme décollée d’un montage filmique. Ce sont des découpages, avec des images qui migrent sur le plateau. On retrouve par exemple un groupe de femmes à plusieurs endroits de la pièce. L’image a bougé. Des structures se mettent place, apparaissent pour qu’une autre sîmmisce à l’intérieur. Cela compose un collage-montage, à l’image de la dentelle, de la couture».
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